Pour ce numéro de nos Entretiens Géopolitiques du Réel, nous avons échangé sur les stratégies diplomatiques des pays africains, sur les limites de l'influence de la décision politique et diplomatique sur l'échiquier international mais aussi sur les opportunités et les avancées positives de l'Afrique dans le monde. Avec le chercheur indépendant en relations internationales Charles Amegan , nous avons décrypté l'actualité et les conjonctures politiques et géopolitiques du continent africain. Il a été Maître de Conférences à Sciences Po, Paris, Visiting Assistant Professor of International Relations au Croft Institute of International Studies, à l’Université du Mississippi, USA et Professeur de relations internationales dans de nombreux programmes universitaires américains à Paris, dont New York University, Columbia University ou encore Middlebury College, Charles Amegan enseigne les Relations internationales, l’Intégration européenne, la vie politique en France, les relations franco-africaines, les enjeux du développement économique et politique en Afrique.
Les pays africains sont confrontés à une multitude de défis comme la paix, la stabilité politique et le développement économique, la lutte contre le terrorisme et depuis quelques temps à l’appropriation des enjeux environnementaux et climatiques. Il est aisé de constater que toutes ces préoccupations ne font pas toujours l’objet d’une action concertée au niveau continental, encore moins par les organisations sous-régionales. Pourquoi observons-nous une difficulté à la réalisation de blocs géopolitiques efficaces au service du développement du continent africain et l’émergence de stratégies diplomatiques ?
Dans le contexte global actuel, caractérisé par l’incertitude et les changements brutaux dans les grands équilibres, la question de l’existence de stratégies africaines aux niveaux continental, et/ou sous-régional revêt une importance de plus en plus cruciale, tant pèsent de plus en plus lourd les challenges que vous mentionnez.
Si par bloc géopolitique, vous entendez les cinq communautés économiques régionales, alors la réponse à la question est clairement non. Ces différentes organisations sont travaillées par des tensions et des différends, qui pèsent sur leur capacité à s’entendre et agir de concert. L’adhésion récente du Maroc à la CEDEAO interpelle sur la notion de bloc et pose question de ce point de vue. En effet, l’existence d’oppositions internes à l’intérieur de ces ensembles, comme par exemple autour de la gestion du Nil, illustrent bien les difficultés à surmonter pour mettre en place des stratégies communes.
Cette situation est d’autant regrettable que c’est précisément à ce niveau (sous-régional) que doivent être jetées les fondations pour construire des stratégies communes, nécessaires pour le développement du continent dans son ensemble. Un autre point à souligner est l’idée même d’une diplomatie commune qui, hélas, est encore balbutiante, au détriment des intérêts de ces pays. Je voudrais à ce propos saluer l’exemplaire mobilisation de la communauté diplomatique africaine à Genève, qui a contribué à l’élection de l’Ethiopien Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, actuel Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé à l’automne dernier.
Il est clair que des stratégies communes peuvent porter des fruits diplomatiques au niveau international. Encore faut-il qu’il y ait une nation qui prenne le leadership en Afrique. Dans l’état actuel du monde et des instabilités qui cisaillent son équilibre, quelles nations africaines disposent de la capacité diplomatique d’entraîner le continent ?
Pour être précis, il faudrait d’abord expliquer ce qu’on entend par capacité diplomatique d’entrainement. Et c’est bien là le problème : cela varie en fonction des enjeux, des jeux d’alliance, et des situations intérieures notamment, et le comportement diplomatique des Etats africains reste à la fois prévisible et imprévisible : prévisible souvent dans le cas des rapports avec d’autres Etats africains, et imprévisible dans leur dimension internationale, face aux enjeux économiques et financiers liés à la globalisation notamment.
On pourrait y voir comme une manifestation de la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur qui accable encore nombre des économies du continent. Ceci devrait logiquement pousser ces états à rapprocher leurs diplomaties nationales dans des cadres sous-régionaux ou continental, afin de s’affranchir de cette forme de sujétion mais ce n’est pas le cas. Le politique reste très, trop, dépendant de l’économique et, sans aucun doute, le parent pauvre de l’intégration africaine.
Pour apporter un début de réponse à la question je pourrais citer le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Maroc, le Sénégal, le Rwanda, la Tanzanie, le Ghana et l’Egypte. Ces pays jouissent d’une très forte présence diplomatique, sur le continent et en dehors. Mais de là à parler de capacité d’entrainement… Il s’agirait peut-être plus d’influence par exemple sur les questions militaires pour le Nigeria et le Tchad ? Et je songerais plus à une sorte de « soft power » pour certains autres comme le Ghana, le Sénégal ou le Maroc. Ce dernier a démontré récemment toute sa capacité en la matière en obtenant son retour dans l’UA et l’adhésion à la CEDEAO…
En réalité trop d’incertitude pèse encore sur l’évolution interne de la plupart de ces pays. Et beaucoup dépend des enjeux considérés.
Existe-t-il une doctrine en matière diplomatique au service du développement des pays africains pris spécifiquement et dans la globalité continentale ? Une sorte de super guide pratique ou de courant de pensée qui prédominerait les actions diplomatiques des pays africains ?
Voilà une question pour le moins particulière. La notion de doctrine laisse à entendre un ensemble cohérent et acquis sur la durée, de principes intangibles qui gouverneraient l’action diplomatique des états africains. Les principes que l’on retrouve dans quasiment tous les pays africains età la base de leurs actions diplomatiques sont les principes universels de recherche de la Paix, de résolution pacifique des conflits, de relations cordiales et mutuellement bénéfiques, et d’intangibilité des frontières. A l’évidence, tous ces principes visent à concourir au développement harmonieux des pays africains.
Le socle déterminant commun aux diplomaties africaines me parait également être leur engagement panafricain. De ce point de vue, l’Union Africaine est censée porter et incarner la « doctrine diplomatique » commune à tous ses 54 membres. On peut en retrouver des axes et objectifs développés dans l’Agenda 2063, dans l’Aspiration 7 dudit document.
Malheureusement, en réalité, on est encore loin du compte : aux contraintes politiques, financières, structurelles et institutionnelles qui continuent d’entraver l’émergence de l’Afrique en tant que véritable acteur reconnu sur la scène internationale, s’ajoute la marche en ordre dispersé des diplomaties sur certains sujets (l’élection de candidats africains à la tête d’Organisations internationales, l’encore épineuse question du Sahara occidental ou la difficulté de parvenir à des consensus et des actions communes continue d’être la règle).
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