Dans le cadre de notre rubrique " Les Entretiens Géopolitiques du Réel ", nous nous sommes intéressés à l'actualité du palmier à huile et de l'huile de palme. Cette ressource tropicale présente en Afrique , en Amérique du Sud mais aussi en Asie suscite en Europe et en Occident des polémiques liées à la préservation de l'environnement et à la condition sanitaire.
Alors que celle-ci représente en Afrique une source de revenus essentielle dans l'agriculture familiale et intermédiaire, elle est décriée en Europe et particulièrement en France bien qu'investie dans l'alimentation, les cosmétiques ou la médecine.
Nous avons souhaité prendre un avis d'expert pour situer les enjeux géopolitiques du palmier à huile insuffisamment connu en Occident mais tant sujet à polémiques d'une part et préciser la portée de celui-ci dans les économies locales en Afrique, terrain d'expression du cabinet InterGlobe Conseils.
Jimmy Bouret, géographe et géopolitologue français diplômé de l'Institut Français de Géopolitique, doctorant en Géographie Humaine et Régionale à l'Université de Paris 8, rattaché au laboratoire LADYSS, travaille actuellement sur le palmier à huile et l'huile de palme dans la mondialisation en tant qu'objets géopolitiques. Il nous éclaire, au bout de nos échanges, sur les enjeux géopolitiques du palmier à huile et de l'huile de palme.
Est-il aisé, sur le plan de la mondialisation, de concevoir l'huile de palme comme un sujet géopolitique ?
L’huile de palme est certainement la production alimentaire symbole de la mondialisation sous tous ses aspects, qui conjugue le mieux l’ambivalence et surtout l’antagonisme entre uniformité et résilience. Produit polémique et controversé prêtant aux débats, aux prises de position et surtout aux représentations de la part de la communauté internationale, elle est devenue intrinsèquement géopolitique.
L’huile de palme en tant que produit agroalimentaire n’est pas géopolitique. Ce constat doit être fait pour des productions comme le coton, ou encore le cacao pour ne citer que celles-ci . Il serait plus pertinent de dire que ce sont, d’abord, les modèles de production qui apparaissent comme créateur d’enjeux géopolitiques. Par leurs caractéristiques conflictuelles et concurrentielles, ils conditionnent une production agroalimentaire à devenir géopolitique.
Accaparement des terres, défrichement abusif, destruction des milieux naturels, travail et migration forcés, rivalités locales et régionales, opposition et concurrence entre les acteurs de la filière... sont autant de dimensions éminemment géopolitiques, qui couplées aux dimensions de sécurité et de souveraineté alimentaire font de l’huile de palme un sujet d’intérêt majeur.
Pourquoi porter votre regard sur l’Afrique ? Le continent asiatique n’est- il pas plus intéressant au vu de sa prédominance sectorielle ?
Il faut avant tout remettre les choses dans un contexte géohistorique. Il est vrai que l’huile de palme est une production qui a connu son essor grâce à la prédominance des grandes puissances asiatiques comme l’Indonésie et la Malaisie. Toujours est-il et malgré la domination de l’Asie dans le commerce de l’huile de palme, qu'elle n’en demeure pas moins une production africaine.
En ce sens, mon intérêt pour l’Afrique est très largement compréhensible. Je souhaite remettre l’Afrique, territoire d’origine du palmier à huile, à la place qui est la sienne et surtout qui tend à redevenir la sienne. Le continent est aujourd’hui le symbole des « nouvelles » frontières du palmier à huile avec une évolution rapide et brutale du secteur dans des territoires qui jusqu’alors étaient en retrait et pourrions nous dire préserver.
Les territoires africains présentent des spécificités qui les rendent convoités et convoitables pour les investisseurs que ce soit les grandes entreprises asiatiques qui sont à la base des premières transformations et les grands groupes occidentaux qui sont eux à l’origine des produits finis : terres disponibles, secteur en développement, système clientéliste complexe, corruption des dirigeants locaux ou main d’œuvre abondante au coût relativement faible.
Quid des perceptions et des représentations occidentales en ce qui concerne l’huile de palme ?
Pour comprendre et analyser les enjeux géopolitiques autour de l’huile de palme, il faut sortir des simplifications dont usent et abusent les médias, souvent issues des perceptions et des représentations véhiculées dans nos sociétés occidentales et précisément européennes . Les représentations en sciences humaines, tout particulièrement en géographie et en géopolitique sont omniprésentes et essentielles à l’analyse des rivalités de pouvoir car elles conditionnent de manière directe ou indirecte les relations des populations vis-à-vis de leur espace environnant, de leur territoire et surtout du contrôle de celui-ci.
L'huile de palme a mauvaise presse. Elle est perçue comme une production destructrice de l’environnement, pour laquelle les forêts primaires, haut lieu de la biodiversité, sont détruites à des fins commerciales ; comme la principale cause de la disparition progressive d’espèces endémiques et non moins emblématiques que sont l’orang-outan ou le tigre pour ne citer qu’eux ; comme étant à la base de migrations forcées pour fournir les plantations en main d’œuvre ; etc…
Bien que réelles et concevables , des nuances doivent être apportées.
Les représentations occidentales en ce qui concerne l’huile de palme sont souvent biaisées par une vision environnementaliste proéminente, l’amendement Nutella, ou le « sans huile de palme » sont autant d'actions concrètes qui dévalorisant cette production et issues des représentations, ne reflètent pas à elles seules l’ensemble des dynamiques et surtout des réalités tant paysagères que territoriales du palmier à huile. La position occidentale s’apparente à une réelle ingérence des pays du Nord dans le développement des pays du Sud, ingérence propagée par les représentations et véhiculée de manière répétée dans notre quotidien.
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