Hong Kong gronde depuis mars 2019 d’une colère tellement progressive et ascendante qu’elle en est devenue insubmersible au cours des semaines récentes. Ce mouvement qui a touché au plus fort des récentes manifestations plus de deux millions de « protestors » descendus dans la rue sur une population de près de huit millions d’âmes démontre la vitalité d’une société civile prête au point de non-retour malgré la suspension de la loi autorisant les extraditions vers la Chine.
La question des libertés individuelles et de la démocratie réclamée par les manifestants reste entière et j’ai eu l’opportunité lors d’un récent séjour à Hong Kong de m’en rendre compte. J’ai plutôt été frappé le 13 août dernier par la nature même du mouvement, ou du moins, par la partie observée à l’Aéroport de la cité-Etat composée majoritairement de jeunes lycéens et étudiants.
J’ai été impressionné par l’organisation de la foule de manifestants qui a littéralement occupé tous les secteurs de l’aéroport. Rapidement, les services des compagnies aériennes et la police de l’aéroport ont cédé leurs « positions » à cette jeunesse décidée à marquer le coup d’un point de vue médiatique et politique. Occuper l’aéroport, faire annuler tous les vols internationaux, contraindre le gouvernement à renégocier avec eux mais surtout braquer tous les projecteurs des médias internationaux sur la révolte relève d’une stratégie efficace. Malgré les désagréments induits par l’annulation des vols, les passagers certes ennuyés, n'étaient pas hostiles au mouvement des jeunes hongkongais.
En mission en Chine continentale sur l'Ile de Hainan au sud du pays, et plus tard à Hong Kong, j'ai observé tant de réalités structurelles que je me suis empressé de transposer mentalement en Afrique noire...
Concernant le mouvement en lui-même, mon observation globale tient davantage sur la forme que le fond des revendications hongkongaises à l'égard de leur gouvernement et par-delà de la Chine. Sur la construction et l'organisation de la société civile que j'ai expressément observé, je pense que les mouvements citoyens en Afrique pourraient s'en inspirer pour améliorer leur influence sur le débat politique et l'action publique.
- De mes discussions avec certains manifestants hongkongais le jour de mon vol pour Paris, j'ai remarqué que le mouvement était organisé de façon non-pyramidale pour ne pas prendre le risque d'un leadership très élevé qui pourrait perdre pied avec la réalité des revendications.
Ce mouvement se dit horizontal, avec des porte-parole tournants mais ayant une mission claire de ne pas déborder de leurs rôles provisoires. Ces responsables ponctuels n'ont pas vocation à installer une routine de leader désigné car le mouvement se veut fluide, souple et mobile en fonction des lieux de protestation.
- Les mots d'ordre sont précis et clairement définis avant le début de toute manifestation. Pas de place à l'improvisation. Ils doivent être authentifiés par tous, lisibles et audibles. A Hong Kong, les revendications étaient davantage axées sur les libertés individuelles, publiques et la démocratie. Même en France, pendant la crise des Gilets Jaunes, les demandes étaient très diffuses. Partant sur les légitimes revendications sociales comme la hausse du prix du carburant, le mouvement a débordé sur des positions sur les impôts, les retraites, la contestation des institutions républicaines, le référendum d'initiative citoyenne, les critiques sur la police et la justice, la démission du président de la République et même la fin de la Françafrique.
- La communication orchestrée par les manifestants à Hong Kong est particulièrement intéressante, avec une appropriation des réseaux sociaux pour mobiliser tout azimut, mais également par le choix graphique et visuel des affiches. Elles interpellent automatiquement, on ne peut y être insensible. Traduites en cantonais, mandarin, anglais et parfois en français, les affiches en format A4 ou grandeur nature vues à l'aéroport de Hong Kong et à Hong Kong Central font leur effet.
Le symbole de l'aéroport paralysé a densifié le mouvement et a provoqué des interventions internationales de leaders ou personnalités étrangères.
- Le mouvement a su s'imposer dans les esprits et a soulevé des foules considérables ( plus de 2 millions au plus fort des manifestations) . Tout mouvement qui réussit doit susciter l'adhésion de tous et non répondre à des intérêts résiduels d'une frange de la population. Il peut être clivant mais ne doit pas être diviseur. Il doit être non-violent, mais ferme et déterminé. Les protestataires doivent faire preuve de courtoisie et de convivialité, sans tomber dans la familiarité et la grossièreté. Sur certaines affiches, les Hongkongais s'excusaient de la gêne occasionnée, venant directement faire part de leur désolation auprès des touristes et voyageurs pour les désagréments causés par l'annulation des vols, proposant des adresses d'hôtels ou des solutions d'hébergement ponctuel.
- Le mouvement m'a donné l'impression d'être indépendant financièrement et d'être sur le plan logistique et technique très agile. Pendant toutes les journées de blocage de l'aéroport, les compagnies aériennes étant prises au dépourvu, il fallait bien informer les voyageurs. Les manifestants l'ont fait avec efficacité, cherchant des vols intermédiaires ou rassurant les familles avec enfants. J'ai été encore plus marqué par les réguliers services de restauration mobile qui ont fonctionné gratuitement pendant toute ma journée supplémentaire à Hong Kong.
Je suis convaincu que la crédibilité des sociétés civiles africaines et leur impact sur les affaires de leurs pays n'est qu'une question d'organisation et de changement de culture. L'observation hongkongaise n'est pas le modèle absolu, mais en adaptation avec les réalités locales, nous pourrions avoir au Bénin, en Côte d'Ivoire, au Burkina, au Sénégal, en Tunisie ou au Rwanda et plus largement sur tout le continent de meilleures mobilisations citoyennes.
Sur le continent, il faut rappeler que certains mouvements sont en nette progression sur les méthodologies qu'ils appliquent et l'impact qu'ils génèrent comme Le Balai Citoyen au Burkina-Faso, Y' en a Marre du Sénégal ou encore le Quartet du dialogue national tunisien ( Prix Nobel de la Paix 2015) qui luttent contre la corruption politique, les détournements de deniers publics, la prévarication et pour la démocratie et les libertés publiques.
Il faudra surtout compter avec un écosystème vertueux fait d'une police et d'une justice exemplaires, d'un fonctionnement démocratique des institutions politiques, de médias indépendants et impartiaux et d'une adhésion des sociétés au débat citoyen.