Depuis le 1er septembre 2024, les Martiniquais manifestent vigoureusement contre la flambée des prix.
À l’initiative de ce mouvement, le RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et Ressources Afro-Caribéennes) qui a pris l’initiative d’adresser une injonction par courrier aux distributeurs afin d’exiger une baisse des prix en Martinique. Selon l’INSEE, certains produits alimentaires sont en effet 40 % plus chers que dans l’Hexagone. Plusieurs experts soulignent l’existence d’une forme de monopole exercée par certains distributeurs, une situation que ces derniers réfutent. Lors d’un débat télévisé sur Martinique la 1ère, le 3 septembre 2024, ils ont affirmé que la concurrence entre les différents acteurs économiques existait bel et bien et qu’aucune situation de monopole n’était détenue par une seule entité. Toutefois, le problème réside moins dans la concentration du pouvoir économique que dans l’absence de véritable concurrence.
Une situation similaire est observée dans d’autres territoires sous domination française. Ainsi, dans un article du Monde publié le 15 août 2024, on fait état d’une suspicion d’entente sur les prix des denrées alimentaires en Nouvelle-Calédonie (Kanaky). Ce phénomène n’est donc pas spécifique à la Martinique, mais concerne l’ensemble des colonies françaises.
Cependant, bien que la lutte des Martiniquais contre la vie chère soit légitime, elle semble, malheureusement, ne pas s’inscrire dans un projet politique à la hauteur des défis sociaux et économiques auxquels l’île est confrontée. Nous verrons dans un premier temps que cette lutte, aussi noble soit-elle, pourrait s’avérer être un mirage sans réelle solution politique.
Une lutte sans solution politique viable
Lutter contre la vie chère revient à défendre la dignité. Les Martiniquais qui se mobilisent courageusement dans toute l’île ont une cause juste et noble. Cependant, il ne s’agit pas de la première mobilisation de ce type. Déjà en 2009, la Martinique, la Guadeloupe et d’autres colonies françaises avaient protesté contre la cherté de la vie. Le constat aujourd’hui est sans appel : non seulement les prix n’ont pas baissé, mais ils ont considérablement augmenté.
Aujourd’hui, le RPPRAC réclame un alignement des prix avec ceux pratiqués dans l’Hexagone. Cependant, l’illusion d’une égalité économique semble de moins en moins tangible. En 1946, Aimé Césaire espérait une égalité sociale et économique entre la Martinique et la France. Près de 80 ans plus tard, cet espoir est resté lettre morte. Le taux de chômage en Martinique dépasse les 15 %, contre 7 % dans l’Hexagone, et les salaires y sont 30 % inférieurs.
Demander un alignement des prix avec ceux de la France relève d’une aspiration vouée à l’échec, d’autant plus que cette revendication ne s’accompagne d’aucune vision politique cohérente. Au contraire, elle reflète une volonté d’assimilation accrue, alors que la population devrait plutôt reconnaître le mépris colonial dont elle est victime et opter pour l’émancipation.
Opter pour l’émancipation des dernières colonies françaises
Le constat est clair : la France peine à gérer des territoires situés à plusieurs milliers de kilomètres. Les politiques publiques déployées en France sont déconnectées des réalités locales dans les colonies françaises. À l’heure où la dette française atteint les 3 000 milliards d’euros, l’influence de la France est remise en question en Afrique et au sein de ses colonies françaises. Les gouvernements successifs ont adopté une approche paternaliste que les populations concernées n’acceptent plus.
Prenons l’exemple de la Guyane, où les élus ont décidé à l’unanimité d’une évolution statutaire. Régie par l’article 73 de la Constitution, la Guyane, comme d’autres collectivités d’outre-mer, est soumise à une application automatique des lois françaises. Cet article prévoit des adaptations législatives pour tenir compte des spécificités locales, mais celles-ci se révèlent insuffisantes. En 2022, les élus guyanais ont proposé une évolution statutaire vers l’autonomie, une position réaffirmée lors d’une interview retransmise par Guyane la 1ère le 26 mars 2024. Pourtant, le président Emmanuel Macron, dans une réponse perçue comme arrogante, a simplement suggéré d’approfondir l’application de l’article 73, ignorant ainsi les aspirations locales.
L’autonomie n’est pas synonyme d’indépendance, mais permettrait aux élus guyanais d’avoir davantage de pouvoirs pour répondre aux problématiques spécifiques de leur territoire, tout en restant au sein de la République française. Comment les Martiniquais peuvent-ils se contenter de demander uniquement une baisse des prix alors qu’une solution politique plus ambitieuse est nécessaire ?
La véritable réponse réside dans l’abandon de l’article 73 et l’adoption d’un projet d’émancipation politique. Tant que l’autorité politique ne sera pas pleinement domiciliée en Martinique, aucun acteur économique ne pourra travailler de manière efficace pour répondre aux besoins réels de la population.