Depuis un an, le Bénin se positionne comme l’un des pays du continent africain les plus proches de la communauté afro-descendante. Pour concrétiser cette relation fraternelle, le Bénin, sous la présidence de Patrice Talon, a décidé d’accueillir les Caribéens sur son territoire. Cet engagement a été marqué par le vote de la loi n°2024-31 du 2 septembre 2024, relative à la reconnaissance de la nationalité béninoise aux afro-descendants, ainsi que par la récente invitation de la Communauté caribéenne (CARICOM) au Bénin lors de la semaine Vodun Days.
Ces actions diplomatiques en direction des afro-descendants s’inscrivent dans un contexte politique marqué par l’annonce, le 5 janvier 2025, de la candidature de Kemi Seba, alias Stellio Gilles Robert Capo Chichi, à l’élection présidentielle béninoise de 2026. Cette candidature intervient alors que la France a entamé une procédure de retrait de sa nationalité française. En effet, c’est lors de son passage en Guyane, territoire français d’Amérique, qu’il a reçu un document officiel l’informant de cette décision.
L’élection présidentielle béninoise s’annonce cruciale, avec au cœur des débats des enjeux diplomatiques liés aux relations entre le Bénin et les peuples afro-descendants. Il devient donc essentiel d’analyser les stratégies diplomatiques respectives de Patrice Talon et de Kemi Seba.
Une stratégie diplomatique tournée vers les anciennes colonies anglaises pour Patrice Talon
Le constat est sans équivoque : sous le mandat de Patrice Talon, les afro-descendants sont ouvertement courtisés par le Bénin. Le 8 janvier 2025, le ministre des Affaires étrangères du Bénin Olushegun Adjadi Bakari a accueilli plusieurs représentants de pays membres de la CARICOM, notamment Haïti, la Dominique, les Bahamas, Grenade, ainsi que des ambassadeurs d’Antigua-et-Barbuda, de la Barbade, du Suriname et de la Jamaïque. Ce sont donc huit des quinze pays membres de la CARICOM qui se sont réunis à Cotonou pour renforcer les relations diplomatiques entre l’Afrique de l’Ouest et les Caraïbes.
La CARICOM, créée en 1973 pour faciliter les échanges commerciaux entre les pays caribéens, compte actuellement 15 États membres indépendants, dont la plupart sont d’anciennes colonies britanniques. Ces pays jouissent d’une pleine souveraineté, et Patrice Talon prône des relations diplomatiques axées sur ces nations afro-descendantes indépendantes.
Le Benin et la CARICOM : une alliance stratégique pour renforcer les liens avec les afro-descendants
En parallèle, la CARICOM inclut six territoires associés, dont la Martinique, une colonie française. Lors de cette rencontre à Cotonou, la Martinique était représentée par Prince d’Allaba Dah Mileko, alias Georges-Emmanuel Germany, nommé en décembre 2024 ambassadeur en charge des relations avec les pays afro-descendants dans les Antilles.
Cette nomination illustre la volonté du Bénin de ne pas négliger les colonies françaises, en particulier la Martinique, qui occupe une place stratégique sur les plans économique et politique. Pour rappel, le président Patrice Talon avait été invité en décembre 2023 en Martinique par Bernard Hayot, un acteur économique controversé. Depuis la crise sociale de septembre 2024 en Martinique, Bernard Hayot est accusé par une partie de la population d’être responsable de la pauvreté et du manque de concurrence économique sur l’île.
Néanmoins, sur le plan économique, le Groupe Bernard Hayot représente un atout diplomatique important pour le Bénin, car il constitue un pont vers les dernières colonies françaises. Ces territoires sont également devenus des lieux d’expression privilégiés pour Kemi Seba, qui y déploie un discours politique axé sur l’autodétermination des peuples afro-descendants.
Une stratégie diplomatique avec les anciennes colonies françaises pour Kemi Seba
Le 5 janvier 2025, Kemi Seba a officiellement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle béninoise. Pour atteindre cet objectif, il a évoqué trois possibilités : rejoindre un parti politique déjà existant, appeler à une modification du code électoral, ou, en dernier recours, organiser ce qui semblerait être un soulèvement populaire. Cette déclaration vise à ouvrir des portes qui, selon lui, lui sont actuellement fermées. Cependant, à l’international, certaines opportunités lui restent accessibles, notamment dans les dernières colonies françaises.
Depuis plusieurs années, Kemi Seba se rend régulièrement en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, territoires français d’outre-mer. En 2018, il avait notamment été invité en Martinique pour mener une action militante dans un centre commercial. Ce centre commercial, par un « hasard » qui n’en est probablement pas un, appartenait au groupe GBH.
Un discours axé sur l’autodétermination
Kemi Seba a construit sa carrière politique autour de la question de l’autodétermination des dernières colonies françaises. Il exhorte ces territoires à revendiquer leur indépendance et à rompre avec l’impérialisme français. Lors d’un de ses voyages récents dans ces territoires, il a reçu une notification officielle de retrait de sa nationalité française.
Déjà cité dans un rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI) comme l’un des principaux instigateurs du sentiment anti-français sur le continent africain, Kemi Seba a vu le ministre de l’Intérieur français engager une procédure visant à lui retirer sa nationalité. En réponse à cette décision, il a brûlé son passeport français sur le territoire français, marquant une étape symbolique dans sa lutte.
Deux visions diplomatiques opposées
Depuis longtemps, Kemi Seba est bien connu des afro-descendants français. Son discours politique repose sur la souveraineté identitaire et politique des colonies françaises. De son côté, Patrice Talon adopte une approche différente, axée sur une souveraineté économique.
En s’alliant avec la CARICOM, Patrice Talon propose une stratégie diplomatique qui contraste avec celle de Kemi Seba. En nommant Georges-Emmanuel Germany ambassadeur du Bénin auprès des pays afro-descendants, il développe des relations à la fois avec des États indépendants et avec les colonies françaises. Cette initiative pourrait être perçue comme une tentative de Patrice Talon de prendre de l’avance sur Kemi Seba dans la construction de liens diplomatiques avec les peuples afro-descendants.
La question reste donc ouverte : comment Kemi Seba réagira-t-il face à cette stratégie ?
Clara Maria, née en Martinique, est juriste de formation. Passionnée par le droit et les questions de justice sociale, elle a fondé Clamaria TV, un média dédié aux dernières colonies françaises. À travers cette plateforme, elle aborde les enjeux historiques, politiques et culturels des territoires d’Outre-Mer, mettant en lumière des perspectives souvent marginalisées dans les grands médias. Aujourd’hui éditorialiste politique, Clara Maria est reconnue pour ses analyses pointues et son engagement à décrypter les dynamiques politiques, en particulier celles qui concernent les territoires encore sous administration française.