Entretien accordé au magazine Imagine Demain :
Sur l'urgence pour le continent africain de s'affranchir de toute tutelle, tout en se positionnant comme un acteur incontournable dans les affaires du monde : crise économique, lutte contre le terrorisme, insécurité maritime, risques politiques, bouleversements climatiques, chocs sanitaires, flux migratoires...
Il y va des équilibres ( géopolitiques ) dans le monde.
La visite du Secrétaire d’Etat états-unien Anthony Blinken du 7 au 11 août en Afrique du Sud, en RDC puis au Rwanda a été perçue comme une réplique aux récentes incursions diplomatiques russes en Afrique avec la mini-tournée de Serguei Lavrov sur le continent en juillet dernier. Quelle est votre appréciation de ce chassé-croisé diplomatique entre grandes puissances sur le continent ?
J’analyse ce regain d’intérêt pour le continent comme la résultante de son attractivité économique et de son positionnement stratégique pour les puissances intéressées, avant toute idée avancée de partenariat gagnant-gagnant ou de politique de développement, par leur propre croissance économique et leur hégémonie diplomatique à l’échelle du monde. Evidemment, la visite d’Anthony Blinken s’inscrit dans un contexte international marqué par la guerre russe en Ukraine et les tensions diplomatiques avec la Chine du fait brûlant de la visite de la présidente de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi sur le détroit de Taiwan.
L’Administration Biden souhaite accélérer son rapport à l’Afrique surtout après les années Trump qui avaient relativement isolé sur le plan diplomatique les Etats-Unis de l’Afrique à cause du positionnement radical de l’ex-président républicain
adepte de l’America First.
Mais les Russes ne sont pas directement opposés aux Etats-Unis sur le continent selon les analystes mais plutôt à la France surtout en Afrique francophone. Qu’en pensez-vous ?
Tous ces pays mus par leurs intérêts spécifiques de croissance économique et de renforcement de leurs sphères d’influence ont trouvé en l’Afrique le meilleur pourvoyeur d’opportunités ou l’accélérateur de puissance. Bien sûr que la concurrence de ces grandes nations sur le continent est une réalité incontournable et dénote de la place du continent sur la scène internationale. Mais la question que je me pose est celle des bénéfices réels pour le continent marqué par des crises économiques d’ampleur, une insécurité politique et sociale avec le terrorisme par exemple au Sahel et la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée, des coups d’état constitutionnels et militaires, l’immigration économique, les bouleversements climatiques.
Les Russes ne font pas que revenir sur le continent, ils ont toujours été là et ont bataillé de façon intermittente et interposée avec les pays occidentaux dans le sillage de la guerre froide. Aujourd’hui, les tensions avec la France n’en sont plus que visibles parce que certains pays de l’ex-pré carré français se détachent radicalement et légitimement du giron de Paris. Il y a un besoin de souveraineté très bouillant et à encourager surtout avec les jeunesses et les sociétés civiles africaines qui veulent rompre avec un passé au bilan mitigé.
En quoi cette volonté de rupture impacte-t-elle sur la géopolitique des puissances en Afrique ?
Il y a un vent favorable à la rupture avec un continuum de compromissions encore plus fort que celui des années 1990 qui aspirait à la démocratie sur l’Afrique post-guerre froide et post Discours de la Baule. Mais je pense que cette volonté de rupture n’est pas encore suffisamment structurée car parfois instrumentalisée par des pouvoirs politiques en mal de gouvernance et se servant à bon compte de cette colère des peuples pour la rediriger contre la France par exemple ou l’Occident en général.De plus, ces manifestations qui ont généralement des objectifs louables sont parfois caporalisées par des adversaires stratégiques en Europe et dans le monde par le biais de la propagande et de la désinformation. Tous les pays le font en Afrique, aucune puissance n’a le monopole de la diplomatie propre et juste ! Il y a toujours eu de la manipulation et des stratégies pour torpiller les efforts et la politique de ses adversaires en Europe, en Afrique, aux Etats-Unis et dans le monde. Aujourd’hui, le terrain favori de ces derniers est le continent africain et cela est très inquiétant pour la construction d’Etats forts et durables. L' industrialisation des fake-news surtout dans les secteurs de la sécurité et de la défense est une vraie menace contre la réelle indépendance des esprits sur le continent. Le sujet n’est absolument pas de choisir entre la Russie et la France ou la Chine et les Etats-Unis, mais c’est avant tout de se choisir et de viser prioritairement les intérêts africains. En 2022, il est urgent d’agir avec lucidité et de refuser toute tutelle. On ne peut remplacer une tutelle par une autre et espérer se libérer. L’indépendance et la souveraineté doivent être totales et irréfutables !
Merci à la rédaction de ce bimensuel togolais et à son directeur de publication Joseph Mensah-Boboe.