« Aussi longtemps que les lions n'auront pas leur historien, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur » dit le proverbe africain.
Egalement attribué au célèbre romancier et poète nigérian Chinua Achebe (1930-2013), ce dicton illustre plus que jamais les écarts de perception culturelle et médiatique entre des faits et ceux qui les rapportent. En fonction des logiques spécifiques, des intérêts des uns et des autres, l’histoire est systématiquement remaniée, transfigurée, détournée ou simplement niée.
A cet effet, les Africains qui se plaignent, à tort ou raison, de la maltraitance médiatique subie par l’Afrique devraient comprendre que la prise en charge du décryptage de la réalité de leur continent ne peut être déléguée à autrui.
Quelques souvenirs troublants.
Pendant les tragiques attentats qui ont frappé Grand Bassam en Côte d’Ivoire en mars 2016 et Ouagadougou au Burkina Faso en août 2017, un rapide tour sur les réseaux sociaux expose l’envers d’un décor en termes de communication citoyenne, publique et politique. Assez curieusement, dans le feu du drame, très peu de médias africains ont réagi ou ont couvert l’actualité de ces événements douloureux qui étreignaient les Ivoiriens et les Burkinabé. Contre toute attente, comble de l’absurdité, c’était tout simplement les accusations d’Africains accusant les médias occidentaux de ne parler pas des drames qui se nouaient en Afrique alors que les radios et les télévisions du continent dans leur majorité, continuaient de diffuser des programmes récréatifs.
Je me souviens d’échanges virulents entre internautes et commentateurs africains ou de la diaspora sur l’horrible injustice constatée dans le traitement de l’actualité africaine par les Occidentaux- ce qui est largement prouvé – mais en niant totalement le rôle fantôme des medias du continent.
Pire, au-delà des journalistes ou de la presse africaine, très peu de gouvernements ont spontanément réagi pour apporter soutien et aide aux pays éplorés. Une prompte veille sur les comptes numériques des ministères des affaires étrangères ou des présidences démontrent une coupable apathie alors que les « community managers » du Quai d’Orsay ou de l’Elysée étaient actifs dès la première minute où les informations firent le tour du monde. Heureusement et il faut le souligner, certains journalistes – certes bien rares- font leur travail d’information et alertent l’opinion et quelques gouvernements du continent se montrent exemplaires et réactifs.
Nous devons nous approprier notre actualité et notre histoire. Nous devons proposer un récit réaliste de l’Afrique.
Nous devons proposer et faire émerger un narratif sur l’Afrique et non laisser aux Européens et Américains la responsabilité de construire notre histoire. Ce qui était admis avant la colonisation, en termes de construction d’opinions et de fabrication de l’information ne peut plus l’être aujourd’hui avec les réseaux sociaux et le siècle digital qui ne s’est pas arrêté à Athènes et Lisbonne mais a continué aussi à Porto-Novo, Windhoek ou encore Blida.
Les pays africains doivent aussi faire naître leurs propres lobbyistes, leurs communicateurs, leurs agences de presse, leurs cabinets de relations publiques afin que le narratif ne soit ni tronqué, ni biaisé, mais fidèlement restitué. Ce n’est même pas l’exclusivité des pouvoirs politiques, c’est l’affaire de toutes et tous : universitaires, citoyens, société civile, entrepreneurs.
Finalement une somme de devoirs mais pour avoir le droit de revendiquer l’authenticité de notre récit.
Arrêtons d’accuser les autres de nos propres turpitudes et manquements et prenons nos responsabilités. Ils ont raison de communiquer leurs versions de nos histoires en fonction de leurs intérêts. Ils continueront à produire indéfiniment leurs versions tant que nous n’aurons pas compris l’importance de la communication et le pouvoir des médias dans la construction des opinions publiques et l’impact pour le développement.
Devenons les soldats de notre influence et maîtres de notre destin !
C’est à ce prix que nous deviendrons indistinctement lions, chasseurs de lions et historiens de lions.
Cet édito est produit pour le magazine In Afrik, la revue interactive des Bâtisseurs de l'Afrique.
Tous droits réservés.