D’une victoire judiciaire historique aux différents projets menés, Sea Shepherd France est sur tous les ponts pour préserver l’héritage des Origines et la philosophie du Capitaine Watson.
Lamya Essemlali, PDG de Sea Shepherd France, accorde ici un entretien où actions et spiritualité viennent guider l’ADN de l’engagement du mouvement: autonomie, liberté, exemplarité et connexion au Vivant.
« Il est des hommes (et des femmes) que personne n’arrête »[1]…
« Comment ça va ? »…
Voilà comment a débuté notre entretien.
15h, le 10 avril, la voix posée et que l’on sent retenue, Lamya me répond : « Ça va… ».
Elle dit essayer de garder du temps et de l’énergie, souligne l’importance du terrain pour « encaisser ce schisme au sein du mouvement… », et l’on sent son souffle éreinté, mais soulagé.
Quelques jours plus tôt, la Justice avait rendu son verdict dans le procès intenté par Sea Shepherd Global contre l’antenne française, créée par Lamya, et d’autres représentations nationales soutenues par le capitaine Watson.
L’enjeu principal du procès ? Le droit de porter pavillon. De porter cette crosse du berger, et ce Trident de Neptune.
Je lui demande alors, y-a-t-il maintenant deux mouvements distincts ?
Le silence d’une réflexion…
Et la réponse sort nette : « Non. Il y a deux courants au sein du même mouvement. L’un qui défend son ADN, un autre plus institutionnel, plus dans la défense de ses propres intérêts avant ceux de la cause qu’il défend… ».
Et c’est quoi cet ADN à défendre ? « Celui insufflé par le Capitaine Watson. ».
Si dans l’imaginaire collectif, Sea Shepherd se représente par ses actions coups de poing, « il ne faut pas réduire le mouvement à ça… ». Oui… Ça va au-delà.
« Ces actions marquent les esprits, mais la cause pour laquelle on se bat guide toujours notre curseur ! »
Et pour la défendre, l’organisation compte autant sur ses bénévoles en mer que ceux à terre, « bien plus nombreux que sur les bateaux ! ».
L’action de Sea Shepherd se matérialise sous plusieurs formes : de la création d’un centre de soins dans le sud de la France, d’ateliers et rencontres organisés par l’antenne bretonne, de sa présence au festival de musique Ocean Fest, à l’écriture d’ouvrage et même au hack d’un jeu vidéo, Sea Shepherd ne fait pas qu’harponner des baleiniers aux méthodes immorales.
L’action comme bouclier, la cause comme épée.
« Une cause où il faut dire des choses et faire des choses qui peuvent susciter du ressenti. »
Faire ressentir…
Ce sentiment de « responsabilité et non de culpabilité qui enferme dans le déni ou la fuite. Comprendre qu’on est les seuls à pouvoir changer les choses et que l’engagement ne doit pas dépendre du succès… ».
L’ADN du mouvement c’est « cette autonomie et cette liberté qui permet d’interpeller, de susciter, de raconter une histoire… ». C’est ne pas tomber dans cette connivence et « ces compromis avec des entreprises ou certains gouvernement qui financent pour pouvoir contrôler tout le reste… ».
L’autonomie. La liberté. Des enjeux cœurs de ce qui a été la bataille juridique face à Sea Shepherd Global tendant à se perdre en accord avec, par exemple, certains gouvernements africains. L’Afrique…
Je suis sénégalais. Je l’interroge…
« Au temps d’Haïdar El-Ali[1], on a essayé quelque chose au Sénégal… »… Mais comme dans beaucoup d’autres endroits du Monde, elle me confie que la corruption a coupé court aux initiatives.
Éviter les connivences. Passer outre les bas compromis. Pour la liberté. Pour l’autonomie.
Pour la cause.
« Une vie avec le bleu… » pour se Reconnecter au Vivant …
Se reconnecter.
A soi. A la Nature. Au Vivant…
Au-delà d’une cause, c’est « l’urgence absolue ! ».
Elle cite Martin Luther King :
« Si le monde devait mourir demain, j’y planterai un arbre aujourd’hui. ».
Planter un arbre, ou risquer sa vie en mer.
Cet « effet secondaire de la mission »,elle ne le perd pas de vue et regrette qu’il faille parfois arriver à ces extrêmes. Mais elle reste ferme. C’est nécessaire. Pour honorer les 99% de dons d’anonymes qui viennent soutenir leur financement, pour tous ces êtres du Vivant desquels « on s’est déconnecté pour devenir une forme de cancer », elle prône l’action et l’exemplarité.
Oui. « Montrer par l’exemple que des choses impossibles peuvent être possible… ».
Se reconnecter au Vivant, au Bleu, à la Terre, de manière quasi spirituelle.
« Face à la dépression chronique qui court dans nos sociétés, cette reconnexion à la Nature peut nous aider… ».
Et aider la cause.
Que l’on soit sur terre ou en mer, le but est « juste de motiver à faire quelque chose qui a du sens, à toucher le cœur des gens et laisser à tout un chacun d’écouter cette petite voix en soi qui
pousse à sortir des sentiers battus, face à une société qui fait tout pour
faire fonctionner le système. ».
Je l’écoute… Elle m’inspire…
Je lui parle alors de méditation, de balade en forêt ou à la plage comme autant d’outils de reconnexion. C’est bien, mais « parfois, il faut prendre l’ascenseur plutôt que l’escalier… ».
Alors à ma demande, elle me parle de l’ayahuasca. Cette plante dont la psychédélie lui a permis cette reconnexion à la Nature, mais surtout à soi.
Une dimension spirituelle au Vivant qui lui manquait…
La Guerrière devient Sage ? En tout cas, n’en reste pas moins Guerrière.
Et très vite, elle en revient au cœur de ce qui fait l’ADN de ce mouvement, ce qui parcourt tout son système nerveux. De l’opération de sauvetage de tortues à Mayotte, ou de sa dernière rencontre avec le Ministre de la Mer, le tout est de « faire des choses inspirantes, vivre des expériences enrichissantes, pour montrer que chacun est une part de solutions… ».
« Pour seul équipage, l’avenir de la Terre… »
Je la remercie…
Elle me souhaite le meilleur, et moi je bafouille « De même… ».
Comme si je pouvais lui souhaiter autre chose… Comme si elle méritait autre chose…
On raccroche. Et je reste quelques instants encore pendu au téléphone.
Une heure… C’est tout ce qu’aura duré notre entretien.
Et pourtant, ça a suffit à me faire réaliser que je la connaissais en fait depuis toujours.
Ses mots m’ont touché. Sa détermination, son abnégation à porter plus haut qu’elle, plus haut que Tout, la cause qu’elle défend ne peut qu’inspirer.
Oh…A priori, je ne suis pas neutre. Mais là, je suis de plus en plus convaincu.
C’est elle qui a raison…
Comment la remercier ? En allant soutenir l’organisation ? Par un don ou du bénévolat ?
C’est déjà ça…
Peut-être surtout en réalisant que le Vivant est partout autour de nous, qu’il transcende l’Humanité entière, qu’il ne tient qu’à nous de nous montrer digne de cette responsabilité.
De s’y connecter, ou s’y reconnecter, peu importe où l’on vit et d’où l’on vient, juste par l’exemple de nos actions, relever partout ce défi.
Sur terre, comme en mer.
Par Malik Samb, analyste-rédacteur en résidence chez InterGlobe Conseils que la rédaction voit tel un écrivain en piste pour disséquer le réel et parfois nous faire voguer vers le transcendant, un défricheur d'âmes, un catapulteur d'émotions, une sentinelle attentive aux turbulences du monde.
[1](militantécologiste sénégalais et ancien ministre de l’Environnement)
[1] Les titres des différentes parties sontissues ou inspirés des paroles de la chanson « Watson » du groupe
Tryo