Election présidentielle en Côte d’Ivoire : la coalition de l’opposition ivoirienne, entre configuration d’intérêts communs et égoïstes
Il est de tradition démocratique que les acteurs politiques s’investissent dans des transactions conjoncturelles ou structurelles afin d’atteindre leurs objectifs : prendre le pouvoir ou détenir la majorité au parlement. Ces regroupements prennent diverses formes, allant des configurations institutionnelles, inter-organisationnelles et civilisationnelles des groupes politiques (Alliance) aux configurations transactionnelles, organisationnelles et opérationnelles des groupes politiques. Les premières sont faites pour s’inscrire dans un temps long et agrègent les visions, quant aux secondes, elles sont plus ponctuelles et n’exigent pas une agrégation des visions.
En Côte d’Ivoire, les coalitions et alliances structurent généralement l’opposition à l’occasion d’élections. Cela pourrait s’expliquer par la force qu’elles incarnent dans des systèmes démocratiques. Maurice Duverger soutient que « le nombre des partis joue évidemment un rôle très important dans ce domaine : l’alternance suppose le dualisme » , c’est-à-dire qu’il faut un système bipartisan pour qu’un parti de l’opposition parvienne au pouvoir. D’autres auteurs, comme Jean-Louis Quermonne, ont identifié le « système bipolarisé », c’est-à-dire une coalition des partis d’opposition contre le parti au pouvoir, comme substitut au système bipartisan pour effectuer l’alternance.
Les expériences de regroupement politique entre acteurs de l’opposition ivoirienne se sont multipliées depuis les années 1990. Nous pouvons mentionner l’alliance entre le Front Populaire Ivoirien et le RDR (le Front républicain) pour battre Henri Konan Bédié pendant les présidentielles de 1990. Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix, qui regroupe plusieurs partis de l’opposition (le RDR, le PDCI, l’UDPCI, le MFA, et autres mouvements politiques) autour de l’acteur Alassane Dramane Ouattara dans le but de prendre le pouvoir à l’occasion des présidentielles de 2010 . Et la coalition des forces de l’opposition qui prend forme à l’occasion des élections présidentielles de 2020, réunissant le FPI, le PDCI, l’UDPCI et des mouvements politiques (dont celui de Soro Guillaume et de Marcel Amon-Tanoh).
Toutes ces tentatives de regroupement politique se sont généralement soldées par des échecs, exceptée celle du RHDP dont les objectifs sont atteints en 2011, avec la prise du pouvoir par Ouattara. Cependant, à l’orée de la présidentielle de 2020, le RHDP va subir une recomposition; en cause, les désaccords entre les alliés qui débouchent sur certaines ruptures. Les partis qui rompent avec le RHDP vont s’associer avec d’autres organisations de l’opposition pour former la coalition de l’opposition tel que signifié plus haut.
Cette restructuration du paysage politique ivoirien suscite chez nous des interrogations, à savoir, quelles pourraient être les causes à l’origine de la formation de la coalition de l’opposition ivoirienne à l’occasion la présidentielle de 2020 ? Quelles sont ses objectifs ? Quelle est sa stratégie, comment l’opérationnalise-t-elle ? Est-elle crédible ?
Nous ne pouvons prétendre apporter tous les éléments de réponses à ces questions, néanmoins, nous espérons effectuer une analyse qui contribue à la compréhension de la dynamique électorale de 2020.
Une communauté d'intérêts produit des conjonctures et anime la compétition électorale
Source : yelo.com
L’année 2018 voit s’amorcer la reconfiguration du paysage politique ivoirien. Les prémices de cette recomposition circonstancielle, dont l’un des indicateurs essentiels est l’actuelle coalition formée par l’opposition ivoirienne, pourraient être situées à l’instant où le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) divorce du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Actée officiellement de 9 Août 2018 cette rupture est la première d’une liste à laquelle s’ajouteront plusieurs pointures du RHDP. Nous observerons les départs successifs de Guillaume Soro, Mabri Toikeusse et Marcel Amon-Tanoh (2020). Toutes ces ruptures semblent partagées un dénominateur commun, l’élection présidentielle ivoirienne de 2020. Cette hypothèse se trouve confortée au regard de l’actualité du processus électoral, qui nous donne de constater que plus de trois-quarts des ex-alliés de Ouattara ont déposé leurs candidatures.
Ainsi, tout donne à penser que certaines divergences autour de la présidentielle ivoirienne de 2020 exacerbées par le projet de parti unifié qui n’a cessé de renforcer les tensions seraient donc à l’origine de ces ruptures.
Pour ces acteurs qui, à l’évidence, sont porteurs d’ambitions politiques fortes, la transformation du RHDP en parti unifié rend incertains leurs schémas de succession de Ouattara; d’autant que ce dernier a pris soin de faire monter en puissance Amadou Gon Coulibaly qui sera désigné candidat du RHDP une semaine après qu’il ait renoncé à un troisième mandat. L’effritement du RHDP ouvre la voie à un nouveau mariage des forces de l’opposition en vue des élections de 2020.
Le 23 février 2020, Guillaume Soro rend pour la deuxième fois visite à Henri Konan Bédié et au centre de leur discussion, la formation d’une nouvelle plateforme de l’opposition. Le 18 août 2020, le leader de l’UDPCI Mabri Toikeusse confie à la presse : « nous sommes sortis du RHDP depuis le 02 août dernier, il était donc important pour nous de saluer les partis membres de l’opposition que nous rejoignons. » Par ces propos, il signe son adhésion à la nouvelle plateforme qui prend forme depuis les visites de Bédié à Laurent Gbagbo à la Haye.
Ce rapprochement qui se profile à travers la déclaration de Bédié voit ses contours se dessiner autour d’une intention commune, le départ du parti au pouvoir RHDP.
Inscrite dans cette logique anti-RHDP, l’annonce de la candidature de Ouattara à l'occasion de son discours à la nation du 06 août 2020, se pose comme un véritable facteur d’agrégation, sinon de consolidation de la coalition des forces de l’opposition. Le départ du président Ouattara et de son camp sans lequel une réconciliation nationale véritable en Côte d’Ivoire ne serait pas possible devient l’axe principal du catalogue de transactions que les acteurs de la coalition définissent.
Une communauté d’intérêts orientée vers la quête d’une légitimité internationale.
Pour empêcher Ouattara de briguer un « 3ème mandat », la coalition de l’opposition s’investit dans une quête de légitimité internationale. Prima facie, il est question de contrecarrer une candidature effective du président sortant. Néanmoins, le scénario d’un suffrage avec Ouattara candidat devint inéluctable – Ouattara s’étant investi ostensiblement en campagne sans laisser planer la moindre possibilité d’un revirement. Subséquemment, la coalition ambitionne de créer les conditions de nature à entacher la « sincérité du scrutin et à en affecter les résultats d’ensemble », si bien que la communauté internationale dans son ensemble pourrait entériner l’argument de la reprise des élections.
« (…) Nous ferons en sorte que cette élection n’ait pas lieu (…) les bureaux de vote ne seront pas ouvert parce que nous nous allons empêcher leur ouverture comme nous empêchons maintenant la distribution du matériel électorale (…) les barrages sont déjà dressé sur l’ensemble du territoire (…) »
« (…) les bureaux de vote ne seront pas ouverts parce que nous allons empêcher leur ouverture comme nous empêchons maintenant la distribution du matériel électorale (…) les barrages sont déjà dressé sur l’ensemble du territoire (…) » |
Pascal Affi N'Guessan (Cf. RFI et France 24, Octobre 2020)
Cet hypothétique cas de figure aurait conforté l’opposition pour laquelle « il n’y a pas eu d’élection en Côte d’Ivoire » et motiver dans une certaine mesure l’ouverture d’une transition.
Tout au long d’un processus tactique, la coalition de l’opposition engage une double manœuvre sous l’étiquette de "désobéissance civile". La première réside dans « l’assénement » de « coups » politiques susceptible de conduire à un affaissement des assises internationales de légitimité » (Yves-Alexandre Chouala) de l’acteur Ouattara. La seconde consiste à construire l’image d’une opposition en mission pour le peuple, incarnant de fait la nouvelle figure légitime, et à promouvoir cette représentation auprès de la communauté internationale.
Effectivement, on peut constater que la rhétorique de la désobéissance civile adoptée par coalition de l’opposition fait apparaître l’acteur Ouattara et son camp comme investis dans une entreprise de « dé-civilisation des mœurs politiques ».
Pour être plus explicite, la candidature d’Alassane Ouattara est présentée par la plateforme de l’opposition comme une atteinte au contrat social, puisque, l’Article 35 de la loi fondamentale ivoirienne et 43 du code électoral dispose : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n'est rééligible qu'une fois ». Dès lors, la candidature de Ouattara se pose comme négation des fondements de la démocratie ivoirienne. Aussi, la « violation de la constitution » que décrie la coalition de l’opposition, discrédite la CEI et le conseil constitutionnel, chargés de la validation des candidatures, car toute candidature anticonstitutionnelle est par principe rejetée.
Par ailleurs, le discours de la désobéissance civile assigne aux figurations gouvernantes l’image de barbaries politiques. En effet, les allégations de la coalition de l’opposition ivoirienne peignent le tableau d’un régime aux méthodes barbares, digne d’une véritable dictature dont le grand manitou n’est rien d’autre que Ouattara. Le verbatim du discours de la désobéissance civile invective le camp Ouattara d’être d’une part engagée dans une chasse aux sorcières, mettant les moyens de l’expression du monopole de la violence légitime au service de la répression des opposants et du peuple qui proteste. Notons également, la dénonciation récurrente du mutisme de la communauté internationale comme élément majeur des propos de la coalition de l’opposition pris dans leur ensemble. A cet effet, les leaders réunis en coalition prennent le soin d’inviter habilement la communauté internationale à prendre ses responsabilités, voire à prendre fait et cause pour leur position, face à ce qu’il qualifie de « coup d’Etat constitutionnel » et de dérive autoritaire.
D’autre part, Ouattara est présenté comme celui dont l’entêtement à se maintenir aux commandes de l’Etat conduit inexorablement la Côte d’Ivoire vers une crise post-électorale. Dans cette intention, l’escalade de la violence intercommunautaire dans certaines villes (M’Batto, Toumodi, Dabou et Bongouanou, pour ne citer que celles-là) est ingénieusement réduite au résultat dont l’équation serait Ouattara et son obstination à briguer « un troisième mandat ». Balayant ainsi du revers de la main toute remise en cause même du modus operandi de la désobéissance civile.
Pendant que la plateforme de l’opposition œuvre à présenter Ouattara et son administration comme des autocrates, elle se construit l’image de la figure incarnant la volonté du peuple. En clair, lorsque la coalition de l’opposition ivoirienne lance son mot d’ordre de désobéissance civile pacifique - qui s’est traduite dans sa forme la plus dure par un boycott actif des élections - elle mise sur le capital humain que peut lui offrir l’agrégation des partisans appartenant aux différents partis qui composent la coalition. L’objectif étant d’assurer une mobilisation de masse quitte à paralyser le pays (cerise sur le gâteau) pour corroborer sa rhétorique digne d’une lutte de libération aux yeux de la communauté internationale qu’elle ne cesse d’inviter à intervenir. A cet effet, des meetings sont organisés dont celui du 10 octobre au Stade Félix Houphouët Boigny, qui rassemble séides du PDCI d’Henri Konan Bédié, FPI (Affi et Gor), UDPCI de Mabri Toikeusse, le LIDER de Mamadou Koulibaly, GPS de Soro et les partisans de Marcel Amon Tanoh.
La coalition de l’opposition ivoirienne : images d’une communauté aux intérêts égoïstes
La coalition de l’opposition se présente comme un groupe assez hétéroclite. Cela peut s’expliquer par la nature même du regroupement qui réunit les acteurs de l’opposition ivoirienne. Si l’alliance se prévaut d’être une « configuration institutionnelle » (un regroupement d’entités unies autour d’un minimum de valeurs, d’objectifs communs et autour d’une figure charismatique). La coalition, quant à elle, est une configuration transactionnelle des groupes politiques de l’opposition et ou de la société civile (un regroupement d’entités unies par un catalogue de transactions).
Dans cette configuration comme le dit Mathias Nguini, les organisations qui se regroupent l’instant d’une transaction conjoncturelle en vue d’influencer l’échange politique global dans un sens ou dans un autre « conservent leur autonomie doctrinale et idéologique » et par-dessous tout leur logique de chapelles. Toute chose qui renvoie parfois l’image d’une structure hétéroclite.
Cette image est d’avantage entretenue par l’individualisme apparent des acteurs qui compose la plateforme de l’opposition. Nous pouvons apprécier cela au regard de l’incohérence entre le choix des candidats, du PDCI-RDA, du FPI, de boycotter les élections qu’ils ne reconnaissent pas, sans pour autant retirer leurs candidatures respectives.
Cette situation confuse renvoie l’image d’une coalition dont les acteurs sont dans une interaction stratégique (coût-bénéfice personnel) plutôt qu’une interaction salutaire (pour le bien commun comme ils le prétendent tant). Toute chose qui remet en cause la doxa de la coalition, celle du combat pour la volonté du peuple ivoirien souhaitant empêcher la forfaiture d’Alassane Ouattara. Cette dernière aurait été adoptée pour cacher en réalité des intentions personnelles. En d’autres mots, elle serait le paravent d’une quête de gains relatifs.
Dans cette perspective, on peut comprendre que ce fut inconcevable pour Bédié et Affi de sacrifier un acquis considérable (des candidatures validées par le conseil constitutionnel) au profit d’une entente entre acteurs de l’opposition, d’autant que rester dans la course électorale en vue d’une potentielle inflexion de Ouattara en faveur d’un retrait de candidature dû à une potentielle pression internationale, restait une option non négligeable.
Nous ne pouvons donc exclure la perspective selon laquelle Affi et Bédié entretenaient des agendas personnels dans l’objectif de les poursuivent indépendamment de la coalition, une fois que l’obstacle Ouattara serait franchi. D’un autre côté, le choix de Bédié et Affi de rester dans la course malgré tout donne à la coalition de l’opposition l’image d’un espace clientéliste. Autrement dit, un espace de marchandage d’avantages politiques dont bénéficieraient les acteurs non candidats en récompense à leurs soutiens pour écarter Ouattara de la course.
Les divergences apparentes autour du cadre tactique d’action viennent consacrer l’image d’une coalition de l’opposition divisée. En effet, le principe d'une coalition ne peut être fonctionnel que si toutes les parties prenantes s'accordent sur un consensus et sa défense, en dépit des aléas politiques. C’est le cas de la plateforme des acteurs coalisés à propos du Conseil National de Transition (CNT). Un certain nombre de coalisés, parmi lesquels figure Marcel Amon Tanoh désapprouve ouvertement le CNT : « Je déplore la création du Conseil National de Transition qui n’a aucun fondement légal et qui ravive les tensions et les risques d’affrontement ».
Laurent Gbagbo s’inscrit dans cette perspective, mais avec beaucoup de subtilité partage son opinion à travers son choix tactique qu’il ne cesse de partager depuis son interview sur TV5 monde : « Ce qui nous attend, c'est la catastrophe. C'est pour ça que je parle. Pour qu'on sache que je ne suis pas d'accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Il faut discuter » .
Eléments de bibliographie Issaka, K. Koné, les partis politiques de l’opposition en Afrique : la quête du pouvoir, Canada, Les presses de l’Université de Montréal, 2017, 226 p. Léopold Sokeng, Alain Olinga, Mathias Nguini, Yves Alexandre C., Yves Poirmeur et Luc Sindjoun (dir.), Comment peut-on être opposant au Cameroun ? : Politique parlementaire et politique autoritaire, Dakar, CODESRIA, 2003, 350 p. Stephen Smith, « La difficile succession d'Houphouët par les urnes : L'opposition ivoirienne boycotte la présidentielle », in Libération, du 21 Octobre 1995. Jean Bonin, « Alliances politiques en Côte d’Ivoire : rien que des échecs », in Yeclo, du 10 Juin 2020, [en ligne] https://www.yeclo.com/alliances-politiques-en-cote-divoire-rien-que-des-echecs. Anna Sylvestre-Treiner, « Côte d’Ivoire : Henri Konan Bédié rompt avec la coalition présidentielle », in Jeune Afrique, du 10 Août 2018. André Silver Konan, « Côte d’Ivoire : Ouattara-Soro, chronique d’un divorce annoncé », in Jeune Afrique, du 30 décembre 2019. Cyprien K., « Situation Socio-Politique : Henri Konan Bédié échange avec Mabri Toikeusse à sa résidence de Cocody », in Abidjan.net, du 19 Août 2019. Anna Sylvestre-Treiner et Baudelaire Mieu « Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, les dessous d’une alliance de circonstance », in Jeune Afrique, du 30 Août 2019. Sidy Yansané, « Présidentielle en Côte d’Ivoire : vers une alliance Bédié-Gbagbo-Soro contre Ouattara ? », in Rfi, du 31 Juillet. André Silver Konan, « Côte d’Ivoire : qui pourrait intégrer la future plateforme de Bédié ? », in Jeune Afrique, du 14 Août 2018. Youenn Gourlay et Yassin Ciyow, « Côte d’Ivoire : l’opposition se retire du processus électoral et met la pression sur Alassane Ouattara », in le Monde Afrique, du 15 Octobre 2020. Cf. « Élection présidentielle 2020 en Côte d'Ivoire : l'opposition confirme son appel au boycott », in BBC News Africa, du 16 Octobre 2020. Rfi et France 24. Pour nous pas d’élection samedi prochain [vidéo en ligne]. Youtube, 28 Octobre 2020 [vue le 30 Octobre 2020] https://www.youtube.com/watch?v=Qzd-Lq4GiX0. Gorgui Ciss, Owona Nguini, Pablo Stefanoni, Jean-Bosco T., L’impératif des alliances en démocratie, Yaoundé, Presses universitaires d’Afrique, 2013, 97 p. |
https://www.yeclo.com/desobeissance-civile-des-partis-de-lopposition-chez-bedie/
Cette réflexion est produite par Mathieu Yao Adjaffi, analyste géopolitique et coordonnateur du Programme U du cabinet InterGlobe Conseils. Les idées émises lui appartiennent pour toute citation et reproduction partielle ou intégrale de sa réflexion.